vendredi 27 février 2015

L’église Saint-Philibert à Villez-sous-Bailleul,

un exemple d’architecture

préromane ou romane précoce


L’architecture préromane ou romane précoce de Haute-Normandie a depuis longtemps retenu l’attention de nombreux historiens de l’art et archéologues qui ont défini les critères remarquables de ces édifices (1). Récemment,  les travaux de Jacques Le Maho et Jim Morganstern (2) sur l’église de Saint-Pierre de Jumièges ont permis d’avancer sur ce sujet en reculant la date d’édification de ce monument du XIe au IXe siècle.  Ces recherches sur l’architecture et l’art préroman sont menées également en Bourgogne, en Champagne et dans les Pays de Loire sous la direction de Christian Sapin (3).


En 1997, un pré-inventaire des édifices dédiés à Saint-Martin, réalisé dans le cadre  du XVIe centenaire de ce saint, avait mis en valeur le caractère précoce de plusieurs églises par rapport aux canons de l’architecture  de la seconde moitié du  XIe siècle (4). Sur les bases de ce premier travail, un inventaire plus large a été réalisé sur les églises présentant des archaïsmes architecturaux en Haute-Normandie. Ce corpus regroupe actuellement soixante dix huit églises, identifiées comme préromanes ou romanes précoces.


L’église Saint-Philibert à Villez-sous-Bailleul constitue un exemple de ce type d’édifice. Celle-ci a été retenue dans l’étude sur les édifices religieux préromans et romans précoces de Haute-Normandie sur les indications de Pierre Roussel, Président des Amis des Monuments et Sites de l’Eure.



Quelques éléments historiques et toponymiques.

La première mention de Villez-sous-Bailleul date de 1025 dans une charte de Richard II (7) qui confirme la donation ou la restitution par ses ancêtres à l’Abbaye de Saint-Ouen des paroisses de Villez, Bailleul, Réanville et Saint-Pierre-la-Garenne. C’est pour cette raison que la vallée située à proximité de ces villages est mentionnée dans différents textes médiévaux sous le nom de Val Saint-Ouen. Ce texte montre également l’ancienneté de ces villages dont la fondation remonte au moins à l’aube du XIe siècle ou même au Haut Moyen-Age s’il s’agit de restitution faite suite aux incursions scandinaves. 

Cette ancienneté peut-être également confirmée par le nom de lieu Villez qui vient du bas latin Villare qui est une forme dérivée de Villa (8). Quant à Bailleul, ce nom vient d’un mot latin tardif d’origine gauloise Balliolum qui signifie cour ou enclos (9).

Le vocable Saint-Philibert ne nous apprend rien sur l’ancienneté de cette paroisse. En effet, nous disposons de peu de comparaisons avec d’autres églises portant ce nom. Pour les autres cas nous ne pouvons remonter guère avant le XIe siècle. Il est difficile dans l’état actuel de nos connaissances de dire si dès le Haut-Moyen-Age ce vocable fut donné à des édifices cultuels ou ce nom fut attribué après les incursions scandinaves au gré des pérégrinations des reliques de Saint-Philibert .



Vue générale de l’église prise du sud


Description architecturale.
Cette église se compose d’une nef, d’un clocher situé dans le prolongement de la nef, d’un transept et d’un chœur à chevet plat. Dans cette étude seule la nef est abordée puisque c’est le seul élément de cet édifice qui fut construit en architecture préromane ou romane précoce. La tour clocher a été édifiée au XVIe siècle ainsi que le transept et le chœur. La curiosité de cet édifice est le fait que  la tour clocher ne soit pas située à la croisée du transept mais entre la nef et ce dernier.

La nef est la partie la plus ancienne de cette église. Celle-ci comporte par endroit une maçonnerie en opus spicatum (en arête de poisson) assez régulière en pierre de taille calcaire. Du mur sud il n’en reste qu’une petite partie à l’est. Aucune ouverture d’origine n’a été conservée. La partie occidentale a été totalement refaite peut-être lors du raccourcissement de l’église au XIXe siècle.




Mur Sud de la nef. Seule la partie la plus orientale comporte un appareillage en opus spicatum. La partie occidentale semble avoir été reconstruite

Opus spicatum sur la partie orientale du mur sud de la nef.


En effet, cette église a été amputée d’au moins une travée lors de l’élargissement de la voirie. Le mur occidental a été réédifié avec de nombreux réemplois sculptés. Certains constituaient les éléments du portail occidental qui appartient certainement à une seconde phase de cet édifice. Ceux-ci datent du début du XIIe siècle étant donné les décors en bâtons brisés.










Eléments de réemplois sculptés dans le mur occidental de la nef. Ces éléments de décors datent du début du XIIe siècle et témoignent d’une seconde phase de construction de cet édifice. Ils furent réutilisés lors de la reconstruction de la façade occidentale de la nef quand l'église fut raccourci au XIXe siècle.



Le mur nord de la nef est mieux conservé. Dans sa majeure partie il se compose d’un appareillage en opus spicatum. Seule son extrémité occidentale a été refaite lors du raccourcissement de l’église. Ce mur comporte également une fenêtre haute rebouchée. Cette petite ouverture est en arc de plein cintre avec un linteau monolithe gravé de faux claveaux.

Détail de la petite fenêtre haute percée dans le mur nord de la nef. On distingue également le linteau monolithe gravé de faux claveaux.


La question de la datation.

Dans l’état actuel de nos connaissances, ce type d’église se distingue architecturalement des constructions de la seconde moitié du XIe siècle. Le croisement des indices tels que l’architecture, les sources écrites, la toponymie et les vocables nous permet d’avancer l’hypothèse de bâtiments cultuels construits entre la seconde moitié du Xe siècle et la première moitié du XIe siècle pour la plupart d’entre eux.

Malgré quelques épisodes de guerres, les règnes des souverains normands Richard Ier et Richard II ont été marqués par des périodes de paix et de prospérité favorables aux fondations religieuses et on ne peut imaginer que ces souverains et leurs proches ne se soient intéressés qu’aux seuls grandes fondations monastiques tels que Jumièges, Saint-Ouen, Fécamp ou le Mont-Saint-Michel. D’autre part, comment imaginer que toutes les églises paroissiales aient été construites plus d’un siècle après la fondation de la Normandie ? Par ailleurs la simplicité de l’architecture ce ces édifices peut s’expliquer par un besoin urgent d’édifier des églises suite à l’épisode des incursions vikings de la seconde moitié du IXe siècle et du début du Xe siècle.

Depuis quelques années, des chercheurs comme Christian Sapin et Daniel Prigent ont réalisé des datations au radiocarbone à partir de charbons de bois ou de bois prélevés dans les mortiers d'églises ayant les mêmes caractéristiques architecturales que celles abordées dans cet article.

Ces analyses ont donné des résultats montrant que ces édifices cultuels pouvaient avoir été édifiés entre la seconde moitié du Xe siècle et les premières décennies du XIe siècle.

Depuis 2013, en Normandie, deux édifices ruraux appartenant au Corpus d’églises romanes précoces ont été datés au radiocarbone pour leurs parties les plus anciennes. Il s'agit de l'église Saint-Cyr et Sainte-Julitte à Pierre Ronde (Commune du Mesnil-en-Ouche, Canton de Bernay, Département de l’Eure). Les résultats des quatre prélèvements de bois nous permettent de proposer une datation de ces éléments variant entre 944 et 1004 (974 +/- 30 ans).

Le second exemple est l’église Saint-Agnan à Calleville (Canton de Brionne, Département de l’Eure). Trois prélèvements de bois et un de charbon de bois provenant des parties les plus anciennes du mur sud de la nef ont été datés par le laboratoire de Lyon. Trois d’entre eux proposent une fourchette de datation relativement large s’étalant entre la fin du VIIIe siècle et les dernières années du XIe siècle. Un échantillon est sur une plage chronologique plus resserrée entre les débuts du Xe et du XIe siècle.

Il faut signaler que Pierre Ronde et Calleville ont des caractéristiques architecturales très proches de Saint-Philibert à Villez-sous-Bailleul.



Relevé du mur nord de la nef. 



Nicolas Wasylyszyn


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Notes :


(1) Maylis Baylé, L'architecture normande au Moyen Âge. Dir. M. BAYLÉ, 2 vol., Caen - Condé sur Noireau, Presses universitaires de Caen - Corlet, 1997.


(2) Jacques Le Maho, L’abbaye de Jumièges, Monum, éditions du patrimoine, Paris 2001.


(3) Christian Sapin, Pascale Chevalier et Christian Sapin, « ANR Corpus architecturae religiosae europeae [CARE],


saec. IV-X » , Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre], 13 | 2009.

(4) Nicolas Wasylyszyn, « Introduction au colloque, le XVIe centenaire de la mort de Saint-Martin et la christianisation de la Normandie » , dans Haute-Normandie Archéologique n°7, Centre de Recherches Archéologiques de Haute-Normandie,
Rouen, 2003
(5) Jacques Le Maho, Nicolas Wasylyszyn, Saint-Georges-de-Boscherville : 2 000 ans d’Histoire, Groupe de Recherches Archéologiques du Pays de Caux, Association Touristique de l’Abbaye Romane, Rouen, 1998.
(6) Nicolas Wasylyszyn, « Saint-Philbert-sur-Risle, fouille du prieuré Saint-Pierre », dans Haute-Normandie Archéologique n°7, Centre de Recherches Archéologiques de Haute-Normandie, Rouen, 2003.
(7) Marie Fauroux, Recueil des actes des Ducs de Normandie de 911 à 1066, dans Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie tome XXXVI, Caen, 1961, Texte 53, pp. 168-173.
(8) François de Beaurepaire, Les noms des communes et anciennes paroisses de l’Eure, Picard, Paris, 1981, p. 209.
(9) François de Beaurepaire, Les noms des communes et anciennes paroisses de l’Eure, Picard, Paris, 1981, p. 186
 

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