dimanche 7 janvier 2018

Eglise Saint-Rémi à Bézu-Saint-Eloi



L’église Saint-Rémi à Bézu-Saint-Eloi (canton de Gisors) n’a pas retenu, jusqu’alors, l’attention des historiens de l’art et des archéologues du bâti.

En effet, cet édifice est situé dans un environnement ingrat en bordure de la route départementale 148 : Gisors-Rouen. Par ailleurs, ce bâtiment a été pour le moins fort remanié, voire défiguré, aux XVIIIe et XIXe siècles.

Pourtant, cette église mérite une attention toute particulière tant pour l’histoire du site de Bézu-Saint-Eloi que pour l’architecture, notamment au niveau de ses parties les plus anciennes.

Tout d’abord, le toponyme de Bézu-Saint-Eloi remonte au haut Moyen Age. Par ailleurs, la nef de cette église a vraisemblablement été construite à l’aube de l’an Mil.




Eglise Saint-Rémi à Bézu Saint-Eloi.

Bézu-Saint-Eloi : des origines remontant à la fin du VIIe siècle


La première mention de Bézu-Saint-Eloi se trouve sous la forme « Bacivum » dans un texte du Roi Mérovingien Clovis III ; elle est datée de 691 (1). Il s’agit d’un document où il est fait mention de propriété de l’Abbaye Saint-Denis. Dans ce document, on ne peut voir la distinction entre Bézu-Saint-Eloi ou Bézu-la-Forêt situé 15 km en amont de la Lévrière.

Bézu est de nouveau mentionné à deux reprises en 750 et 775 sous la forme « Bacivo Supériore » et « Subteriore ». On peut penser, que dès cette époque, il est fait distinction entre les deux lieux-dits qui deviennent par la suite Bézu-la-Forêt (« Bacivo Supériore ») et Bézu-le-Long, puis Bézu-Saint-Eloi (« Bacivo Subteriore ») (2).

Par la suite, en 854, Bézu est de nouveau mentionné dans un autre écrit sans aucune distinction et cette fois sous la forme de « Basiu » (3).

Ces textes nous prouvent que la vallée de la Lévrière était fortement occupée au cours des époques mérovingiennes et carolingiennes.

Ces documents montrent la forte présence des souverains francs qui possédaient des domaines sur ce secteur du Vexin.

L’Abbaye Saint-Denis avait également des possessions importantes dans cette vallée. Il est alors logique que les différents villages situés dans la vallée de la Lévrière aient des églises ayant des vocables fréquents pour le haut Moyen Age. On pourrait parmi eux citer : Saint-Martin (Bézu-la-Forêt), Sint-Pierre (Mainneville), Saint-Denis (Saint-Denis-le-Ferment), Saint-Eloi (Bézu-Saint-Eloi) et Saint-Rémi (Bézu-Saint-Eloi).

On peut également remarquer que, parmi ces vocables, trois saints sont fortement liés aux rois mérovingiens : Saint-Denis, Saint-Eloi et Saint-Rémi.

Tous ces éléments nous poussent à penser que le sanctuaire Saint-Rémi à Bézu-Saint-Eloi remonte vraisemblablement à l’époque mérovingienne.

On ne trouve pas de traces de Bézu dans des écrits au cours des Xe et XIe siècles. Néanmoins, on peut émettre l’hypothèse que c’est dès le XIe siècle que l’Abbaye de la Croix-Saint-Leufroy a reçu en donation des possessions importantes à Bézu, notamment la présentation de la cure de l’église Saint-Rémi (4).

Cette abbaye y fonda un prieuré simple qui est attesté au XIIe siècle.

L’église Saint-Rémi de Bézu : une construction en partie romane précoce


L’église Saint-Rémi de Bézu a été peu étudiée pour son architecture. En effet, au premier regard, cet édifice n’attire pas particulièrement l’œil du chercheur. De plus, sur le plan esthétique, ce bâtiment n’a rien de riche. Malgré tout, cette église mériterait que l’on s’y attarde davantage, notamment pour sa nef et son transept, qui ont été vraisemblablement construits au plus tard dans les premières décennies du XIe siècle.

Des récentes recherches menées dans la région depuis 1997 ont montré qu’un certain nombre d’églises dataient, ou avaient des parties, remontant à l’aube de l’An 1000. Pour le département de l’Eure, 42 édifices, ayant les mêmes particularités architecturales et un certain nombre de caractéristiques, pouvaient avoir été construits durant la seconde moitié du Xe siècle ou au début du XIe siècle (5).


L’une d’entre elles a pu même être datée par des moyens scientifiques au radiocarbone : il s’agit de l’église de Pierre Ronde (commune de Beaumesnil). En effet, sur cet édifice, quatre prélèvements de brindilles et de charbon de bois ont été effectués dans les maçonneries des parties les plus anciennes. L’analyse du carbone 14 a donné une datation de 974 plus ou moins 30 ans (6).


Façade nord. On remarque le petit appareillage de silex disposés en épi.


Façade sud. En plus des trois hautes fenêtres on distingue derrière la végétation une porte à linteau monolithe surmontée d'une arcature aveugle. Les gros contreforts ont été ajoutés au XVIIIe siècle afin de stabiliser les murs de la nef.


Fenêtre percée dans le mur nord de la nef.   
Porte rebouchée sur le mur nord de la nef.

Fenêtre rebouchée à la base de la Tour-Clocher. C'est la seule partie romane du clocher.
En effet, toutes élévations supérieures ont été reconstruites au XIXe siècle.

Ces églises que l’on pourrait nommer préromanes ou romanes précoces ont les caractéristiques architecturales principales suivantes :

- Maçonneries en opus spicatum (appareillage en épis) ou des murs faits de petits moellons réguliers en assise horizontale.

- Absence de contreforts.

- Petites fenêtres en arc de plein cintre surmontées de petits claveaux réguliers, parfois même très minces, ou, dans d’autres cas, ces ouvertures sont surmontées d’un linteau monolithe parfois gravé de faux claveaux.

- Les matériaux employés sur ces édifices sont dans presque tous les cas issus de gisements locaux.

Phase I – XIe siècle


L’église Saint-Rémi à Bézu-Saint-Eloi comporte au niveau de sa nef et du transept plusieurs de ces caractéristiques architecturales. Les parties de cet édifice sont maçonnées de silex disposés en épis (opus spicatum). Par ailleurs, ce bâtiment d’une hauteur respectable n’a pas de contreforts. Les fenêtres hautes, quant à elles, sont en arc de plein cintre et surmontées de petits claveaux. D’autre part, ces ouvertures n’ont à leur base aucune pierre d’appui. C’est une constante des édifices construits avant la seconde moitié du XIe siècle.


Le mur nord de la nef est également percé d’une porte surmontée d’un linteau monolithe en pierre et d’une arcature aveugle. Ce type d’ouverture se retrouve dans les édifices religieux dès le haut Moyen Age.


Phase II – XIIe siècle



Le sommet des murs de la nef a été surmonté d’un bandeau de pierres taillées avec des modillons sculptés. Malheureusement, la plupart de ces éléments de décoration ont été en grande partie refaits au XIXe siècle.

Phase III – XVIIIe siècle


C’est au milieu du XVIIIe siècle que la nef a été amputée de sa première travée. C’est ainsi que toute la façade occidentale a été reconstruite.


C’est également à cette époque que la façade sud de la nef fut raidie par de gros contreforts, certainement pour des raisons de stabilité de l’édifice.

Phase IV – XIXe siècle


Le XIXe siècle a porté d’importants remaniements sur cette église. Ainsi, en 1822, l’ensemble du chœur fut entièrement reconstruit. Il remplaça alors un sanctuaire rectangulaire à chevet plat.

C’est également au cours du XIXe siècle que la tour-clocher a été reconstruite. Seule la base de la tour du XIe siècle fut conservée. Une baie romane surmontée de claveaux fins trapézoïdaux est encore conservée sur la face sud.

En 2010, lors d’une tempête, cette partie de l’église s’est partiellement effondrée.


Ces premières remarques sur l’étude archéologique de l’église Saint-Rémi à Bézu-Saint-Eloi mériteraient d’être approfondies. Il serait intéressant de réaliser un relevé du bâti de cet édifice afin d’avoir une meilleure lecture des murs de la nef et du transept. Par ailleurs, une datation au radiocarbone d’éventuels éléments de bois prélevés dans les mortiers permettrait d’apporter une chronologie plus fine de l’époque de construction des parties les plus anciennes de ce bâtiment cultuel.


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(1) Beaurepaire F., Les noms des communes et anciennes paroisses de l’Eure, Picard, Paris, 1981, p 65-66.
(2) Le Prévost A., Mémoires et notes pour servir à l’Histoire du Département de l’Eure, Evreux 1862, Tome I, p. 340-343.
(3) Beaurepaire F., Les noms des communes et anciennes paroisses de l’Eure, Picard, Paris, 1981, p 65-66.
(4) Charles J., de la Comté M.C.et Lannette C., Répertoire des abbayes et prieurés de l'Eure, Archives Départementales de l’Eure, Evreux, 1983, P.52.
(5) Wasylyszyn N., « Inventaire et observations sur les églises Romanes précoces de Haute-Normandie (Xe-XIe siècles) », Haute-Normandie Archéologique, XIII, 2008, p. 36-40.
(6) « Inventaire et observations sur les églises Romanes précoces de Haute-Normandie » : http://premier-age-roman-normand.blogspot.fr/.



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