dimanche 4 novembre 2018


L’église Saint-Martin à Armentières-sur-Avre :
Histoire et architecture


1-  Introduction

L’église Saint-Martin à Armentières-sur-Avre est située dans l'Eure au nord de la nationale 12 dans l’un des hameaux constituant cette commune à l’habitat dispersé.

Comme la plupart des édifices ruraux romans du XIe siècle, cette église a peu retenu l’attention des historiens de l’art. En effet, ce type d’église ne comporte aucun détail architectural remarquable et aucune sculpture. Le développement ces dernières années de l’archéologie du bâti a fait évoluer la connaissance de ces bâtiments qui sont les plus anciens encore en élévation dans le paysage de nos campagnes. Ainsi, cette église Saint-Martin d’Armentières-sur-Avre n’a quasiment jamais été citée dans les ouvrages spécialisés hormis dans le livre intitulé Le Grison, une pierre étrange dans l’histoire du bâti entre Val de Seine et bords du Loir (1).

Pourtant cet édifice mérite une étude plus fine tant pour son histoire que pour son architecture dont certains éléments remontent au moins au milieu du XIe siècle.




2- Origines historiques.

Le toponyme d’Armentières est cité une première fois dans un acte de l’abbaye Saint-Père de Chartres entre 965 et 983 sous la forme : Armentariae (2). Ce nom de lieu de tradition latino-romane a pour signification étable ou enclos pour le bétail (3). L’origine de ce nom peut être ancienne. Par ailleurs, le vocable Saint-Martin peut faire remonter les origines d’Armentières-sur-Avre à l’époque mérovingienne. En effet, l’étude de Jean Fournée sur le vocable Saint-Martin montre que beaucoup d’églises portant ce nom remontent au haut Moyen-Age (4). Cette hypothèse semble être confirmée par les découvertes archéologiques réalisées ces cent dernières années. Néanmoins, nous ne pouvons que rester au stade des hypothèses sur l’éventuelle ancienneté de ce site car aucune datation au radiocarbone des charbons de bois ou fragments de bois présents dans les mortiers n'a été réalisée.

En revanche, dans une charte de l’abbaye Saint-Père de Chartres, il est mentionné la donation de cette église à cet établissement religieux entre 965 et 983 (5). L’ouvrage d’Astrid Lemoine-Descourtieux consacré à la frontière normande de l’Avre montre bien que cette abbaye avait de nombreuses possessions de part et d’autre de la frontière entre le duché de Normandie et les Comté de Chartres et de Dreux (5). La plupart de ces dons consentis par des seigneurs plus ou moins puissants ont été réalisés entre la seconde moitié du Xe et la première décennie du XIe siècle.

Cette église située sur la rive droite de l’Avre appartenait de fait à l’évêché de Chartres en terre française et malgré les aléas de l’histoire et des conflits qui ont secoué cette région, elle resta dans la sphère française.

Carte de Cassini, secteur de la vallée de l'Avre.

3- Description et interprétation architecturales.

L’église Saint-Martin à Armentières-sur-Avre est constituée de deux volumes, une nef longue formant un seul vaisseau large et haut se prolongeant à l’est par un chœur plus étroit qui se termine par une abside semi-circulaire.

Cet édifice de grandes dimensions peut surprendre pour un village aussi peu peuplé et qui ne semble pas avoir eu une grande importance même dans l’histoire. Mais la taille de cette église peut s’expliquer, là encore, par son rattachement attesté dès le Xe siècle à la grande abbaye de Saint-Père de Chartres. En effet, cet établissement religieux est connu pour avoir bien doté les églises qu'il avait en gestion cultuelle.

3-1 La nef.

- Le mur nord.



Le mur nord de la nef est construit essentiellement, hormis quelques reprises plus tardives, en petits modules de silex locaux liés à du mortier fait d’un mélange de chaux et de sable jaune, sans aucun doute d'origine locale. Par endroit, on distingue une mise en œuvre en épi (opus spicatum) de ce petit appareillage.

A l’origine, ce mur n’était raidi par aucun contrefort. Ces derniers semblent avoir été ajouté au XVIe siècle lors des travaux de charpente et de construction du clocher. En effet, le type de construction très élaboré de ces contreforts et l’emploi de gros modules de grès montrent qu’ils ont été édifiés après la guerre de Cent Ans.

Concernant les ouvertures percées dans ce mur, il ne subsiste de la construction d’origine qu’une seule petite fenêtre haute, celle-ci ayant été très légèrement recoupé à sa droite par un contrefort. Cette baie est constituée par des piédroits faits de cinq pierres de grison. Ceux-ci sont surmontés d’un linteau monolithe en grès sur lequel sont gravés de faux claveaux. Cette ouverture n’a pas de pierre en appui. Ce type de baie est typique de la construction religieuse entre le Xe et le milieu du XIe siècle pour le quart Nord-Ouest de la France. La hauteur de cette dernière et sa largeur sont néanmoins plus importantes que ce qui est observé sur les édifices les plus anciens de la seconde moitié du Xe siècle tels que Calleville ou Pierre Ronde (6).



Ce mur a par la suite été repercé par de grandes baies gothiques à la charnière des XIVe et XVIe siècles. Une seule subsiste sur la troisième travée de la nef. Les ouvertures de la première et quatrième travée ont été refaites au XIXe siècle avec un encadrement de briques. L’appui de la baie du XVIe siècle de la première travée est néanmoins encore visible.

Ce mur nord était à l’origine enduit, de nombreuses traces de ce couvrement en mortier des maçonneries sont encore visibles.

- Le mur sud.


Le mur sud de la nef est construit de la même manière que le mur nord, soit en petits silex montés en assises régulières et disposés en épi par endroit. Cette maçonnerie n’est pas à l’origine raidie par des contreforts. C’est au XIIe siècle qu’un contrefort plat est édifié en grison sur le premier tiers occidental de ce mur.

Des ouvertures d’origine, il ne reste aucune trace. Les baies existantes sont plus tardives. Deux d’entre elles ont été percées au XIIe siècle, elles sont encadrées de pierre de grison et sont surmontées d’un arc en plein cintre. Elles ont été très fortement remaniées au XIXe siècle, surtout la plus occidentale dont on ne voit que des traces assez diffuses. La plus orientale est quasiment complète mais elle a été agrandie sur sa partie basse avec l’ajout de briques sur les piédroits et l’appui. Deux fenêtres gothiques tardives identiques à celles du chœur et du mur nord de la nef ont été repercées à la charnière du XVe et XVIe siècles à l’ouest et à l’est de cette maçonnerie.

Façade sud de la nef.

 Fenêtre romane tardive sur la façade sud de la nef.

 Fenêtre gothique tardive postérieure à la guerre de Cent Ans.


- la façade occidentale et le clocher

Le mur occidental de l’église a été très fortement remanié et ne comporte aucune trace de construction aussi ancienne que les autres murs de la nef. La partie basse semble avoir été très refaite au XIIe siècle avec l’apport de contreforts plats encadrant la porte d’entrée et aux angles sud-ouest et nord-ouest de l’édifice. Ces deux derniers contreforts semblent avoir été remaniés voire en partie reconstruits avec les mêmes matériaux au XVIe siècle, peut-être lors des travaux de construction du clocher. La porte occidentale a été repercée au XVIe siècle. Il s’agit d’une ouverture gothique tardive avec des gros modules de grès en encadrement.



La tour-clocher a été construite lors de la réfection totale de la charpente après la guerre de Cent Ans entre la fin du XVe et le XVIe siècle. Celle-ci ne repose pas sur les maçonneries de l’église mais sur un portique en bois.



Ce clocher a été restauré récemment. Un temps couvert d’ardoise, il a reçu lors des travaux de restauration une couverture de tuiles de bois comme cela devait être le cas à l’origine de sa construction.

3-2 Le chœur.

- le mur nord.



Comme les maçonneries de la nef, Le mur nord du chœur est construit essentiellement en petits moellons de silex locaux liés à du mortier fait d’un mélange de chaux et de sable jaune local. Par endroit, on distingue une mise en œuvre en épi (opus spicatum) de ce petit appareillage.

Ce mur est raidi par un contrefort plat en grison à l’est à la limite du commencement de l’abside.

Cette façade est percée du même type de baies gothiques tardives que celles de la nef et du mur sud du chœur. Aucune trace des éventuelles ouvertures d’origine n’a été conservée.



- Le mur sud.



Le mur sud du chœur est construit de la même manière que le mur nord en petit silex en assises régulières. Ce mur est raidi par un contrefort plat en grison à l’est à la limite du commencement de l’abside.

Cette façade du chœur est percée de deux fenêtres. La baie située à l’ouest est vraisemblablement romane tardive. Comme celles du mur sud de la nef, elle est surmontée d’une arcature clavetée en plein cintre faite de pierres de grison. Les piédroits et l’appui de cette ouverture ont été refaits au XVIe siècle ou à une époque plus tardive avec de gros blocs monolithes en grès. La fenêtre située à l’est du mur est identique aux autres baies gothiques tardives de cet édifice.



Une porte à linteau plat et encadrement de bois de chêne a été repercée sous la baie romane du XIIe siècle à une période indéterminée.

- L’abside.

Même si l’on distingue que cette abside est construite en silex noyé dans du mortier de chaux et de sable, la lecture de cette maçonnerie est rendue difficile par la présence de plusieurs couches d’enduits.




Cette abside est raidie par un contrefort central situé sous la baie axiale. Ce type de dispositif se rencontre plus particulièrement sur les édifices romans construits aux alentours du milieu du XIe siècle (7). La fenêtre axiale est de facture analogue de celle encore conservée sur le mur nord de la nef. Elle est constituée de quatre pierres en piédroits en grison et en grès surmontés d’une pierre monolithe calcaire évidée à la base pour former un arc de plein cintre. Ce linteau est gravé de faux claveaux. Il est possible que les grès des piédroits soient issus d’un remaniement plus tardif de cette baie. Une autre fenêtre à arc de plein cintre a été percée sur le mur de l’abside. La forme de cette fenêtre peut indiquer qu’elle fut aménagée au XIIe siècle. Néanmoins, l’absence de pierres taillées encadrant cette baie rend difficile cette hypothèse.



Au XIXe siècle, une porte avec encadrement de briques a été également percée sur l’abside afin de desservir la sacristie installée derrière le maître-autel.

4- l’intérieur.



4-1 Charpente et couvrement.

La charpente de l’église a été entièrement refaite au XVIe siècle. C’est une structure de chêne à chevrons formant ferme destinée à recevoir une voûte lambrissée assez typique des charpentes construites à partir du XVe siècle et très répandues au XVIe siècle. La période qui succède la guerre de Cent Ans voit un essor dans la construction religieuse et la restauration des églises. Les voûtes lambrissées de la nef et du chœur ont été refaites à une époque tardive.

4-2 Les peintures murales.

Les murs intérieurs ont été repeints à différentes reprises. Néanmoins on distingue à différents endroits des traces de décors.  Ainsi sur le mur ouest a été découvert un décor très élaboré en trompe l’œil datant, vu le style baroque, du XVIIe ou du début du XVIIIe siècle.



D’autres traces de polychromie du XVIe siècle apparaissent sous les enduits modernes notamment des faux appareillages et des fleurs de lys.




5- Conclusion.

Cette première étude historique et archéologique de l’église Saint-Martin à Armentières-sur-Avre montre que les parties les plus anciennes de cet édifice remontent au moins au milieu du XIe siècle. Néanmoins la question des origines de la construction de certaines parties de cette église reste posée. Il n’est en effet pas encore exclu que la nef soit plus ancienne que l’abside. En effet, celle-ci n’est raidie par aucun contrefort. En revanche, la ressemblance entre les petites baies de ces deux parties de l’édifice ne va pas en faveur de cette hypothèse. La seule méthode pour résoudre cette question serait de dater des éléments de bois prélevés dans les mortiers comme cela a déjà été fait pour les églises euroises de Pierre Ronde à Mesnil-en-Ouche, Calleville, Condé-sur-Risle et Reuilly.

Dans l’état actuel des connaissances, il est possible d’affirmer que cette église a quatre grandes phases de constructions et de remaniements. La majorité des murs de ce bâtiment remonte au moins au milieu du XIe siècle et deux baies datent de cette période.

Au XIIe siècle cette église a connu des premiers remaniements avec le percement de fenêtres sur les murs nord de la nef et du chœur et le renforcement du mur sud de la nef par un contrefort en grison.

Au XVIe siècle, après la guerre de Cent Ans, des baies gothiques ont été percées sur les murs nord et sud de l’édifice. Durant la même période la charpente fut refaite, le clocher construit et la façade fut profondément remaniée. C’est également à cette époque que le mur nord de la nef a été raidi par des contreforts en grès.

Au XIXe siècle, certaines fenêtres gothiques ont été remaniées ou refaites. Une porte a été également percée sur l’abside afin de desservir la sacristie installée derrière le maître-autel.

Une étude scientifique du bâti plus poussée pourrait affiner la connaissance de la chronologie relative et absolue de cette église et ainsi de mieux connaître son histoire.



Nicolas Wasylyszyn
Ingénieur du Patrimoine
Unité Départementale de l’Architecture et du Patrimoine de l’Eure – DRAC de Normandie
Membre du Centre de Recherches Archéologiques et Historiques Anciennes et Médiévales
UMR 6273 (CNRS/Université de Caen Normandie)




(1) Montenat C. (dir.), Lemoine-Descourtieux A., Wasylyszyn Nicolas, Le Grison, une pierre étrange dans l’histoire du bâti entre Val de Seine et bords du Loir, Association des Géologues du Bassin de Paris (Mémoire hors-série n°8 de l’AGBP) et Amis des Monuments et Sites de l’Eure, Beauvais, 2012, 128 p.
(2) Charpillon et Caresme, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, Tome I, Les Andelys, Delacroix, 1868, p. 143.
(3) Beaurepaire F. de, Les noms des communes et anciennes paroisses de l'Eure, Paris, Picard, 1979, p.55.
(4) Dr Fournée J., Enquête sur le culte populaire de saint Martin en Normandie, Cahiers Léopold Delisle, 1963.
(5) Le moine Descourtieux A., La frontière Normande de l’Avre, De la Fondation de la Normandie à sa réunion au domaine royal (911-1204), PURH, Rouen, 2011.
(6) Wasylyszyn N, "Aux origines de l'architecture romane (950-1050)", Les Eglises de l'Eure à l'épreuve du temps, sous la direction de France Poulain, Avrilly, Les étoiles du Patrimoine, 2015, p.21-25.
(7) Wasylyszyn Nicolas, « Saint-Philbert-sur-Risle de la Collégiale Saint-Philbert au Prieuré Saint-Pierre », Bulletin des Amis des Monuments et Sites de l’Eure, n° 143, Evreux, Amis des Monuments et Sites de l’Eure, Juin 2012.



1 commentaire:

  1. Merci Monsieur de ce blog que je viens de découvrir. Au titre de simple amateur du patrimoine méconnu que sont les petites églises rurales du Pays d'Auge, j'apprécie la somme d'informations précises et documentées que vous avez la générosité de mettre à disposition des curieux.
    Pourriez vous s'il vous plait me faire savoir comment se procurer l'article du Dr Fournée : Enquête sur le culte populaire de saint Martin en Normandie?
    Je vous remercie d'avance de votre réponse.

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