L’église Saint-Martin à Armentières-sur-Avre :
Histoire et architecture
1- Introduction
L’église Saint-Martin à Armentières-sur-Avre est située
dans l'Eure au nord de la nationale 12 dans l’un des hameaux constituant cette
commune à l’habitat dispersé.
Comme la plupart des édifices ruraux romans du XIe
siècle, cette église a peu retenu l’attention des historiens de l’art. En
effet, ce type d’église ne comporte aucun détail architectural remarquable et
aucune sculpture. Le développement ces dernières années de l’archéologie du
bâti a fait évoluer la connaissance de ces bâtiments qui sont les plus anciens
encore en élévation dans le paysage de nos campagnes. Ainsi, cette église
Saint-Martin d’Armentières-sur-Avre n’a quasiment jamais été citée dans les
ouvrages spécialisés hormis dans le livre intitulé Le Grison, une pierre étrange dans l’histoire du bâti entre Val de
Seine et bords du Loir (1).
Pourtant cet édifice mérite une étude plus fine tant pour
son histoire que pour son architecture dont certains éléments remontent au
moins au milieu du XIe siècle.
2- Origines historiques.
Le toponyme d’Armentières est cité une
première fois dans un acte de l’abbaye Saint-Père de Chartres entre 965 et 983
sous la forme : Armentariae (2). Ce nom de lieu de tradition
latino-romane a pour signification étable ou enclos pour le bétail (3).
L’origine de ce nom peut être ancienne. Par ailleurs, le vocable Saint-Martin
peut faire remonter les origines d’Armentières-sur-Avre à l’époque
mérovingienne. En effet, l’étude de Jean Fournée sur le vocable Saint-Martin
montre que beaucoup d’églises portant ce nom remontent au haut Moyen-Age (4).
Cette hypothèse semble être confirmée par les découvertes archéologiques
réalisées ces cent dernières années. Néanmoins, nous ne pouvons que rester au
stade des hypothèses sur l’éventuelle ancienneté de ce site car aucune datation
au radiocarbone des charbons de bois ou fragments de bois présents dans les
mortiers n'a été réalisée.
En revanche, dans une charte de
l’abbaye Saint-Père de Chartres, il est mentionné la donation de cette église à
cet établissement religieux entre 965 et 983 (5). L’ouvrage d’Astrid
Lemoine-Descourtieux consacré à la frontière normande de l’Avre montre bien que
cette abbaye avait de nombreuses possessions de part et d’autre de la frontière
entre le duché de Normandie et les Comté de Chartres et de Dreux (5). La
plupart de ces dons consentis par des seigneurs plus ou moins puissants ont été
réalisés entre la seconde moitié du Xe et la première décennie du XIe siècle.
Cette église située sur la rive droite
de l’Avre appartenait de fait à l’évêché de Chartres en terre française et
malgré les aléas de l’histoire et des conflits qui ont secoué cette région,
elle resta dans la sphère française.
Carte de Cassini, secteur de la vallée de l'Avre.
3- Description et interprétation architecturales.
L’église Saint-Martin à
Armentières-sur-Avre est constituée de deux volumes, une nef longue formant un
seul vaisseau large et haut se prolongeant à l’est par un chœur plus étroit qui
se termine par une abside semi-circulaire.
Cet édifice de grandes dimensions peut
surprendre pour un village aussi peu peuplé et qui ne semble pas avoir eu une
grande importance même dans l’histoire. Mais la taille de cette église peut
s’expliquer, là encore, par son rattachement attesté dès le Xe siècle à la
grande abbaye de Saint-Père de Chartres. En effet, cet établissement religieux
est connu pour avoir bien doté les églises qu'il avait en gestion cultuelle.
3-1 La nef.
- Le mur nord.
Le mur nord de la nef est construit essentiellement,
hormis quelques reprises plus tardives, en petits modules de silex locaux liés
à du mortier fait d’un mélange de chaux et de sable jaune, sans aucun doute
d'origine locale. Par endroit, on distingue une mise en œuvre en épi (opus spicatum) de ce petit appareillage.
A l’origine, ce mur n’était raidi par
aucun contrefort. Ces derniers semblent avoir été ajouté au XVIe siècle lors
des travaux de charpente et de construction du clocher. En effet, le type de
construction très élaboré de ces contreforts et l’emploi de gros modules de
grès montrent qu’ils ont été édifiés après la guerre de Cent Ans.
Concernant les ouvertures percées dans
ce mur, il ne subsiste de la construction d’origine qu’une seule petite fenêtre
haute, celle-ci ayant été très légèrement recoupé à sa droite par un
contrefort. Cette baie est constituée par des piédroits faits de cinq pierres
de grison. Ceux-ci sont surmontés d’un linteau monolithe en grès sur lequel
sont gravés de faux claveaux. Cette ouverture n’a pas de pierre en appui. Ce
type de baie est typique de la construction religieuse entre le Xe et le milieu
du XIe siècle pour le quart Nord-Ouest de la France. La hauteur de cette
dernière et sa largeur sont néanmoins plus importantes que ce qui est observé
sur les édifices les plus anciens de la seconde moitié du Xe siècle tels que
Calleville ou Pierre Ronde (6).
Ce mur a par la suite été repercé par
de grandes baies gothiques à la charnière des XIVe et XVIe siècles. Une seule
subsiste sur la troisième travée de la nef. Les ouvertures de la première et
quatrième travée ont été refaites au XIXe siècle avec un encadrement de
briques. L’appui de la baie du XVIe siècle de la première travée est néanmoins
encore visible.
Ce mur nord était à l’origine enduit,
de nombreuses traces de ce couvrement en mortier des maçonneries sont encore
visibles.
- Le mur sud.
Le mur sud de la nef est construit de
la même manière que le mur nord, soit en petits silex montés en assises
régulières et disposés en épi par endroit. Cette maçonnerie n’est pas à
l’origine raidie par des contreforts. C’est au XIIe siècle qu’un contrefort
plat est édifié en grison sur le premier tiers occidental de ce mur.
Des ouvertures d’origine, il ne reste
aucune trace. Les baies existantes sont plus tardives. Deux d’entre elles ont
été percées au XIIe siècle, elles sont encadrées de pierre de grison et sont
surmontées d’un arc en plein cintre. Elles ont été très fortement remaniées au
XIXe siècle, surtout la plus occidentale dont on ne voit que des traces assez diffuses.
La plus orientale est quasiment complète mais elle a été agrandie sur sa partie
basse avec l’ajout de briques sur les piédroits et l’appui. Deux fenêtres
gothiques tardives identiques à celles du chœur et du mur nord de la nef ont
été repercées à la charnière du XVe et XVIe siècles à l’ouest et à l’est de
cette maçonnerie.
Façade sud de la nef.
Fenêtre romane tardive sur la façade sud de la nef.
Fenêtre gothique tardive postérieure à la guerre de Cent Ans.
- la façade occidentale et le clocher
Le mur occidental de l’église a été
très fortement remanié et ne comporte aucune trace de construction aussi
ancienne que les autres murs de la nef. La partie basse semble avoir été très
refaite au XIIe siècle avec l’apport de contreforts plats encadrant la porte
d’entrée et aux angles sud-ouest et nord-ouest de l’édifice. Ces deux derniers
contreforts semblent avoir été remaniés voire en partie reconstruits avec les
mêmes matériaux au XVIe siècle, peut-être lors des travaux de construction du
clocher. La porte occidentale a été repercée au XVIe siècle. Il s’agit d’une
ouverture gothique tardive avec des gros modules de grès en encadrement.
La tour-clocher a été construite lors
de la réfection totale de la charpente après la guerre de Cent Ans entre la fin
du XVe et le XVIe siècle. Celle-ci ne repose pas sur les maçonneries de
l’église mais sur un portique en bois.
Ce clocher a été restauré récemment.
Un temps couvert d’ardoise, il a reçu lors des travaux de restauration une
couverture de tuiles de bois comme cela devait être le cas à l’origine de sa
construction.
3-2 Le chœur.
- le mur nord.
Comme les maçonneries de la nef, Le
mur nord du chœur est construit essentiellement en petits moellons de silex
locaux liés à du mortier fait d’un mélange de chaux et de sable jaune local.
Par endroit, on distingue une mise en œuvre en épi (opus spicatum) de ce petit appareillage.
Ce mur est raidi par un contrefort
plat en grison à l’est à la limite du commencement de l’abside.
Cette façade est percée du même type
de baies gothiques tardives que celles de la nef et du mur sud du chœur. Aucune
trace des éventuelles ouvertures d’origine n’a été conservée.
- Le mur sud.
Le mur sud du chœur est construit de
la même manière que le mur nord en petit silex en assises régulières. Ce mur
est raidi par un contrefort plat en grison à l’est à la limite du commencement
de l’abside.
Cette façade du chœur est percée de
deux fenêtres. La baie située à l’ouest est vraisemblablement romane tardive. Comme
celles du mur sud de la nef, elle est surmontée d’une arcature clavetée en
plein cintre faite de pierres de grison. Les piédroits et l’appui de cette
ouverture ont été refaits au XVIe siècle ou à une époque plus tardive avec de
gros blocs monolithes en grès. La fenêtre située à l’est du mur est identique
aux autres baies gothiques tardives de cet édifice.
Une porte à linteau plat et
encadrement de bois de chêne a été repercée sous la baie romane du XIIe siècle
à une période indéterminée.
- L’abside.
Même si l’on distingue que cette
abside est construite en silex noyé dans du mortier de chaux et de sable, la
lecture de cette maçonnerie est rendue difficile par la présence de plusieurs
couches d’enduits.
Cette abside est raidie par un
contrefort central situé sous la baie axiale. Ce type de dispositif se
rencontre plus particulièrement sur les édifices romans construits aux
alentours du milieu du XIe siècle (7). La fenêtre axiale est de facture
analogue de celle encore conservée sur le mur nord de la nef. Elle est
constituée de quatre pierres en piédroits en grison et en grès surmontés d’une
pierre monolithe calcaire évidée à la base pour former un arc de plein cintre.
Ce linteau est gravé de faux claveaux. Il est possible que les grès des
piédroits soient issus d’un remaniement plus tardif de cette baie. Une autre
fenêtre à arc de plein cintre a été percée sur le mur de l’abside. La forme de
cette fenêtre peut indiquer qu’elle fut aménagée au XIIe siècle. Néanmoins,
l’absence de pierres taillées encadrant cette baie rend difficile cette
hypothèse.
Au
XIXe siècle, une porte avec encadrement de briques a été également percée sur
l’abside afin de desservir la sacristie installée derrière le maître-autel.
4- l’intérieur.
4-1 Charpente et couvrement.
La charpente
de l’église a été entièrement refaite au XVIe siècle. C’est une structure de
chêne à chevrons formant ferme destinée à recevoir une voûte lambrissée assez
typique des charpentes construites à partir du XVe siècle et très répandues au
XVIe siècle. La période qui succède la guerre de Cent Ans voit un essor dans la
construction religieuse et la restauration des églises. Les voûtes lambrissées
de la nef et du chœur ont été refaites à une époque tardive.
4-2 Les peintures murales.
Les
murs intérieurs ont été repeints à différentes reprises. Néanmoins on distingue
à différents endroits des traces de décors.
Ainsi sur le mur ouest a été découvert un décor très élaboré en trompe
l’œil datant, vu le style baroque, du XVIIe ou du début du XVIIIe siècle.
D’autres
traces de polychromie du XVIe siècle apparaissent sous les enduits modernes
notamment des faux appareillages et des fleurs de lys.
5- Conclusion.
Cette
première étude historique et archéologique de l’église Saint-Martin à
Armentières-sur-Avre montre que les parties les plus anciennes de cet édifice
remontent au moins au milieu du XIe siècle. Néanmoins la question des origines
de la construction de certaines parties de cette église reste posée. Il n’est
en effet pas encore exclu que la nef soit plus ancienne que l’abside. En effet,
celle-ci n’est raidie par aucun contrefort. En revanche, la ressemblance entre
les petites baies de ces deux parties de l’édifice ne va pas en faveur de cette
hypothèse. La seule méthode pour résoudre cette question serait de dater des
éléments de bois prélevés dans les mortiers comme cela a déjà été fait pour les
églises euroises de Pierre Ronde à Mesnil-en-Ouche, Calleville, Condé-sur-Risle
et Reuilly.
Dans
l’état actuel des connaissances, il est possible d’affirmer que cette église a
quatre grandes phases de constructions et de remaniements. La majorité des murs
de ce bâtiment remonte au moins au milieu du XIe siècle et deux baies datent de
cette période.
Au
XIIe siècle cette église a connu des premiers remaniements avec le percement de
fenêtres sur les murs nord de la nef et du chœur et le renforcement du mur sud
de la nef par un contrefort en grison.
Au
XVIe siècle, après la guerre de Cent Ans, des baies gothiques ont été percées
sur les murs nord et sud de l’édifice. Durant la même période la charpente fut
refaite, le clocher construit et la façade fut profondément remaniée. C’est
également à cette époque que le mur nord de la nef a été raidi par des
contreforts en grès.
Au
XIXe siècle, certaines fenêtres gothiques ont été remaniées ou refaites. Une
porte a été également percée sur l’abside afin de desservir la sacristie
installée derrière le maître-autel.
Une
étude scientifique du bâti plus poussée pourrait affiner la connaissance de la
chronologie relative et absolue de cette église et ainsi de mieux connaître son
histoire.
Nicolas
Wasylyszyn
Ingénieur du Patrimoine
Unité Départementale de l’Architecture et du Patrimoine de l’Eure – DRAC de
Normandie
Membre du Centre de
Recherches Archéologiques et Historiques Anciennes et Médiévales
UMR 6273
(CNRS/Université de Caen Normandie)
(1) Montenat C. (dir.),
Lemoine-Descourtieux A., Wasylyszyn Nicolas, Le Grison, une pierre étrange dans l’histoire du bâti entre Val de
Seine et bords du Loir, Association des Géologues du Bassin de Paris
(Mémoire hors-série n°8 de l’AGBP) et Amis des Monuments et Sites de l’Eure,
Beauvais, 2012, 128 p.
(2) Charpillon et
Caresme, Dictionnaire historique de
toutes les communes du département de l’Eure, Tome I, Les Andelys,
Delacroix, 1868, p. 143.
(3) Beaurepaire F. de, Les noms des communes et anciennes paroisses
de l'Eure, Paris, Picard, 1979, p.55.
(4) Dr Fournée J., Enquête sur le culte populaire de saint
Martin en Normandie, Cahiers Léopold Delisle, 1963.
(5) Le moine
Descourtieux A., La frontière Normande de
l’Avre, De la Fondation de la Normandie à sa réunion au domaine royal
(911-1204), PURH, Rouen, 2011.
(6) Wasylyszyn N,
"Aux origines de l'architecture romane (950-1050)", Les Eglises de l'Eure à l'épreuve du temps, sous la
direction de France Poulain, Avrilly, Les étoiles du Patrimoine, 2015, p.21-25.
(7) Wasylyszyn Nicolas,
« Saint-Philbert-sur-Risle de la Collégiale Saint-Philbert au Prieuré
Saint-Pierre », Bulletin des Amis des Monuments et Sites de l’Eure, n° 143,
Evreux, Amis des Monuments et Sites de l’Eure, Juin 2012.
Merci Monsieur de ce blog que je viens de découvrir. Au titre de simple amateur du patrimoine méconnu que sont les petites églises rurales du Pays d'Auge, j'apprécie la somme d'informations précises et documentées que vous avez la générosité de mettre à disposition des curieux.
RépondreSupprimerPourriez vous s'il vous plait me faire savoir comment se procurer l'article du Dr Fournée : Enquête sur le culte populaire de saint Martin en Normandie?
Je vous remercie d'avance de votre réponse.