Inventaire et observations sur les églises
Romanes précoces de Haute-Normandie
(Xe-XIe
siècles).
L’architecture romane précoce de Haute-Normandie a depuis
longtemps retenu l’attention de nombreux historiens de l’art et archéologues qui
ont défini les critères remarquables de ces édifices (1). Récemment, les travaux de Jacques Le Maho et Jim Morganstern
(2) sur l’église de Saint-Pierre de Jumièges ont permis d’avancer sur ce sujet
en reculant la date d’édification de ce monument du XIe au IXe siècle. Ces recherches sur l’architecture et l’art
préroman sont menées également en Bourgogne, en Champagne et dans les Pays de
Loire sous la direction de Christian Sapin (3).
En 1997, un pré-inventaire des édifices dédiés à
Saint-Martin, réalisé dans le cadre du XVIe
centenaire de ce saint, avait mis en valeur le caractère précoce de plusieurs
églises par rapport aux canons de l’architecture de la seconde moitié du XIe siècle (4). Sur les bases de ce premier travail,
un inventaire plus large a été réalisé sur les églises présentant des
archaïsmes architecturaux en Haute-Normandie.
Ce corpus regroupe actuellement quarante deux églises, identifiées comme
romanes précoces, dans l’attente de datation par C14. L’objet de cet article
est de présenter un résumé de ces travaux d’inventaire et des problématiques
qui s’en dégagent.
Les caractéristiques architecturales des églises romanes précoces.
L’appareillage
des maçonneries de ces églises est
généralement constitué d’un petit appareillage de silex ou de moellons calcaires.
Ces matériaux sont souvent disposés en opus
spicatum comme les églises Saint-Martin à Civières (canton d’Ecos, Eure)
et Saint-Chistophe à Reuilly (canton
d’Evreux Nord, Eure). Dans quelques cas, on observe des appareillages en opus reticulum avec des pastoureaux ou petits
moellons calcaires comme à l’église Saint-Pierre à Courdemanche (canton de
Nonancourt, Eure) et à l’église
Saint-Georges à Quessigny (canton de Saint-André de l’Eure, Eure), avec parfois
des alternances de lits de briques comme
les églises Saint-Martin à Condé-sur-Risle (canton de Montfort-sur-Risle,
Eure), Notre-Dame-d’outre-l’Eau à Rugles (Chef-lieu de canton, Eure),
Saint-Martin à Coudray-en-Vexin (canton d’Etrépagny, Eure) et Saint-Georges à
Saint-Georges-Motel (canton de Nonancourt, Eure).
Détail de l’angle sud-est
de l’église Saint-Georges à Saint-Georges-Motel. On remarque au niveau du
chaînage d’angle une alternance de pierres calcaires et de briques.
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Détail du mur nord de
l’église Saint-Georges à Quessigny. On remarque la régularité de l’appareillage
en petits moellons sur la partie basse du mur (Photographie : Pierre
Roussel, Archéo 27).
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Détail
de la maçonnerie en opus spicatum de l’église Saint-Christophe à
Reuilly (Eure).
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Ces
églises ont toutes comme particularité de n’avoir aucun contrefort d’origine
bien que pour les plus petites cela ne soit pas nécessairement un indice de
datation. En revanche, pour les plus grandes comme celles de Saint Martin à
Cailly (canton de Clères, Seine-Maritime), Saint-Martin à Neaufles-Saint-Martin
(Canton de Gisors, Eure) ou Saint-Georges à Saint-Georges-Motel (Canton de
Nonancourt Eure), cette absence peut être un indice de précocité par rapport
aux édifices romans postérieurs au milieu du XIe siècle comme l’église de
Saint-Jean d’Abbetot (Commune de la Cerlangue, canton de
Saint-Romain-de-Colbosc,Seine-Maritime) ou les collégiales Saint-Georges à
Saint-Martin-de-Boscherville (canton de Duclair, Seine-Maritime), fouillée par
Jacques Le Maho (5) et Saint-Pierre à Saint-Philbert-sur-Risle (canton de
Montfort-sur-Risle, Eure), fouillée par Isabelle Cartron et Nicolas Wasylyszyn
(6).
Ces
édifices religieux sont souvent percés de petites fenêtres en plein cintre
surmontées soit de claveaux très fins, plus étroits que ceux églises romanes,
soit d’un linteau monolithe, gravé de faux claveaux dans la plupart des cas.
Fenêtre à fins claveaux à sur l'église Saint-Martin à Condé-sur-Risle.
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Fenêtre
à fins claveaux à sur le église Saint-Pierre à La Croix-Saint-Leufroy.
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Porte
à fins claveaux dans le mur sud de la nef de l’église Saint-Martin à
Neaufles-Saint-Martin.
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Fenêtre à linteau monolithe à l'église Saint-Martin de Boissy-sur-Damville.
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Fenêtre à linteau monolithe gravé de Faux claveaux à l'église Saint-Martin de Fontaine-la-Soret.
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Fenêtre à linteau monolithe gravé de Faux claveaux à l'église Saint-Michel de Bardouville.
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Nous
n’avons presqu’aucun élément sculpté pour les églises considérées, hormis le
cas exceptionnel de Saint-Martin au Coudray-en-Vexin qui possède une pierre
d’angle sculptée sur deux faces, représentant deux scènes de la vie de Saint
Martin (7). A cet exemple nous pouvons ajouter les exemples des églises de
Bardouville qui comporte un linteau de porte sculpté et Coulonges à Sylvains-les-moulins
et ses linteaux de fenêtres décorés.
Pierre sculptée sur le chaînage d'angle sud-ouest de l'église Saint-Martin au Coudray-en-Vexin. Scène représentant vraisemblablement une scène de la vie de Saint-Martin. |
Linteau de porte sculptée, façade nord de l'église Saint-Michel à Bardouville. |
Linteau de fenêtre sculpté à l'église de Coulonges (Commune de Sylvains-lès-Moulins). Cela peut représenter la crucifixion de Jésus. |
Concernant
le plan de ces édifices, nous remarquons que ces bâtiments sont majoritairement
composés d’une nef rectangulaire à un vaisseau unique, prolongée soit par un chœur
plus étroit à chevet plat, comme à Saint-Chistophe à Reuilly, soit par une
abside semi-circulaire, comme pour l’église Saint-Georges à Saint-Georges-Motel.
Les rares transept de ces édifices ont
été ajoutés après le XIIe siècle comme les églises Saint-Martin au
Coudray-en-Vexin (canton d’Etrépagny, Eure), Saint-Martin à Civières (canton
d’Ecos, Eure). Seules les églises de Cailly (canton de Clères, Seine-Maritime)
et de Dampierre (Canton de Gournay, Seine-Maritime) semblent être dès l’origine
dotées d’un transept formant ainsi un plan en croix latine.
Chevet
Semi-circulaire de l’église Saint-Georges
à Saint-Georges-Motel.
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Chevet
plat de l’église Saint-Christophe à Reuilly.
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La question de la datation.
- Les sources écrites.
Les textes de la période
antérieure à Guillaume le Conquérant sont rares et ne parlent que très peu des
constructions d’édifices cultuels. Quelques églises parmi celles concernées par
notre étude sont bien mentionnées dans des textes du début du XIe siècle comme
Saint-Pierre à Dampierre (canton Gournay, Seine-Maritime), mentionnée avant 986
(8), Saint-Martin à Coudres (canton de Saint-André-de-l’Eure, Eure), mentionnée
en 1013 (9) ou Notre-Dame à la Ferté (commune de la Ferté Saint-Samson, canton
de Forges-lès-Eaux, Seine-Maritime), mentionnée en 1047 (10). Mais ces écrits
ne nous donnent aucune description nous permettant d’affirmer que nous sommes
en présence de l’édifice actuel.
Le
seul édifice dont la construction est mentionnée dans un texte antérieur à l’an
mil est l’église de Saint-Georges-Motel. Une charte de 965 mentionne en effet l’édification
d’un bâtiment cultuel Saint Georges sur cette localité (11) au moment où
celui-ci est donné à l’Abbaye Saint-Père de Chartres (Eure-et-Loir). En raison
des caractéristiques architecturales de cette église et compte tenu de cette
source écrite, on est en droit de se poser la question de son origine et d’une
datation de la seconde moitié du Xe siècle.
-
Les vocables et les toponymes.
Les vocables d’églises et
les toponymes ne sont pas des moyens de datation fiables même s’ils peuvent
donner, en revanche, des indications sur l’ancienneté de la paroisse. Ainsi, la
plupart des vocables des édifices attribués au roman précoce sont en général attestés
dès le haut Moyen Âge. Les dédicaces les plus fréquentes sont Saint-Martin,
Saint-Pierre et Notre-Dame. Nous trouvons également pour ces églises des
vocables tels que Saint-Georges ou Saint-Étienne.
Cette remarque est
également vraie pour les toponymes des sites d’implantation de ces églises. Ils
sont souvent d’origine latine gallo-romaine comme Condé-sur-Risle, Quessigny,
Reuilly et Cailly ou germanique comme Courdemanche.
- Les datations par radiocarbone.
Depuis quelques années des chercheurs comme Christian Sapin et Daniel Prigent ont réalisé des datations au radiocarbone à partir de charbons de bois ou de bois prélevés dans les mortiers d'églises ayant les mêmes caractéristiques architecturales que celles abordées dans cet article.
Ces analyses ont donnés des résultats montrant que ces édifices cultuels pouvaient avoir été édifiés entre la seconde moitié du Xe siècle et les premières décennies du XIe siècle.
En Haute-Normandie, un seul édifice a pu être daté. Il s'agit de l'église Saint-Cyr et Sainte-Julitte à Pierre Ronde (Commune de Beaumesnil). Les résultats des quatre prélèvements de bois ont donné une datation de ces éléments variant entre 974 et 1030. Il serait nécessaire afin de confirmer ces résultats d'effectuer de nouvelles datations sur d'autres édifices.
Conclusion.
Dans l’état actuel de nos
connaissances, ce type d’église se distingue architecturalement des
constructions de la seconde moitié du XIe siècle. Le croisement des indices
tels que l’architecture, les sources écrites, la toponymie, les vocables et les datations au radiocarbone d'éléments de bois dans les mortiers nous
permet d’avancer l’hypothèse de bâtiments cultuels construits entre la seconde
moitié du Xe siècle et la première moitié du XIe siècle pour la plupart d’entre
eux.
Malgré quelques épisodes
de guerres, les règnes des souverains normands Richard Ier et Richard II ont
été marqués par des périodes de paix et de prospérité favorables aux fondations
religieuses et on ne peut imaginer que ces souverains et leurs proches ne se
soient intéressés qu’aux seuls grandes fondations monastiques tels que
Jumièges, Saint-Ouen, Fécamp ou le Mont-Saint-Michel. D’autre part, comment
imaginer que toutes les églises paroissiales aient été construites plus d’un
siècle après la fondation de la Normandie ?
Les premiers résultats de cette étude, même s'ils sont encourageants mériteraient d'êtes affinés par l'archéologie et par d'autres datations au radiocarbone.
Nicolas Wasylyszyn
Attaché de Conservation du
Patrimoine
Groupe de Recherche
Archéologique du Pays de Caux.
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Notes :
(1) Maylis Baylé, L'architecture normande au Moyen Âge. Dir. M. BAYLÉ, 2 vol., Caen - Condé sur Noireau,
Presses universitaires de Caen - Corlet, 1997.
(2) Jacques Le Maho, L’abbaye
de Jumièges, Monum, éditions du
patrimoine, Paris 2001.
(3) Christian Sapin, Pascale Chevalier et Christian Sapin, « ANR Corpus architecturae religiosae europeae
[CARE], saec. IV-X », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre],
13 | 2009.
(4) Nicolas Wasylyszyn,
« Introduction au colloque, le XVIe centenaire de la mort de Saint-Martin
et la christianisation de la Normandie », dans Haute-Normandie
Archéologique n°7, Centre de Recherches Archéologiques de Haute-Normandie,
Rouen, 2003
(5) Jacques Le Maho, Nicolas
Wasylyszyn, Saint-Georges-de-Boscherville : 2 000 ans d’Histoire, Groupe
de Recherches Archéologiques du Pays de Caux, Association Touristique de
l’Abbaye Romane, Rouen, 1998.
(6) Nicolas Wasylyszyn,
« Saint-Philbert-sur-Risle, fouille du prieuré Saint-Pierre », dans Haute-Normandie
Archéologique n°7, Centre de Recherches Archéologiques de Haute-Normandie,
Rouen, 2003.
(7) Jacques Le Maho,
(8) Marie Fauroux, Recueil des actes des Ducs
de Normandie de 911 à 1066, dans Mémoires de la Société des Antiquaires de
Normandie tome XXXVI, Caen, 1961.
(9) Marie Fauroux, Recueil
des actes des Ducs de Normandie de 911 à 1066, dans Mémoires de la Société
des Antiquaires de Normandie tome XXXVI, Caen, 1961.
(10) Marie Fauroux, Recueil
des actes des Ducs de Normandie de 911 à 1066, dans Mémoires de la Société
des Antiquaires de Normandie tome XXXVI, Caen, 1961.
(11) Marie Fauroux, Recueil
des actes des Ducs de Normandie de 911 à 1066, dans Mémoires de la Société
des Antiquaires de Normandie tome XXXVI, Caen, 1961.
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